Pourquoi le SOP? [Olivier Clément, 1975]

Un bulletin d’informations orthodoxe témoigne d’un fait très simple l’acceptation réciproque de la France et de l’orthodoxie. Longtemps les fortes émigrations orthodoxes dans ce pays -surtout, mais non uniquement, russe et grecque- ont semblé closes sur elles-mêmes. Peu à peu, pourtant, elles ont fait souche. Les fils et les petits-fils d’émigrés sont devenus des Français engagés dans l’histoire de ce pays, où ils pratiquent souvent un véritable “mariage des cultures”. Des Français venus de l’athéisme ont découvert le Christ dans l’orthodoxie. Malgré la tentation persistante du repliement, nous sommes aujourd’hui en présence d’orthodoxes qui tentent de vivre leur foi ici et maintenant, tout en gardant la plus grande attention, et beaucoup d’amour, un amour filial, pour le destin difficile et le témoignage patient de l’Orient chrétien. Une Fraternité, instrument de service et de rencontre, s’est formée pour faciliter cette évolution. Un comité unit les évêques orthodoxes en France autour du métropolite Mélétios, représentant du patriarcat de Constantinople. Réciproquement, un certain nombre de Français ont découvert cette présence, parmi eux, des orthodoxes. Présence discrète, parfois spirituellement féconde, mais étrangement silencieuse, nous dit-on, sur les graves et douloureux problèmes d’aujourd’hui. Il est vrai que pour nous l’Église n’est pas d’abord une maîtresse de morale, mais un sol nourricier. Il n’en reste pas moins que des orthodoxes, enracinés dans ce sol, ont le devoir d’engager d’une manière modeste mais responsable le dialogue avec la modernité. Dans la mesure où l’orthodoxie n’a pas ici de poids politique, dans la mesure ou elle insiste sur l’unité de la divino-humanité, sur l’importance première du mystère, mais aussi sur la conjonction du mystère et de la liberté, elle peut porter sur l’histoire un regard différent. Mais ne nous leurrons pas au sortir des cloisonnements de l’émigration et du triomphalisme dérisoire de quelques-uns, nous ne sommes que des apprentis.

Il ne faut pas oublier non plus que l’Église orthodoxe est présente dans tous les secteurs de la civilisation planétaire qui s’élabore non seulement en Europe occidentale mais en Amérique, non seulement en Occident et dans l’hellénisme, mais dans le monde communiste et le tiers-monde. Un bulletin d’informations orthodoxe peut apporter sur certains aspects de la vie dans les pays de l’Est ou, par exemple, dans le monde arabe, des informations difficilement accessibles par d’autres voies.

En lui-même enfin, ce bulletin témoigne d’une précieuse entraide œcuménique. Il n’aurait pu paraître sans l’accord et l’appui de nos frères catholiques et protestants. Depuis le Deuxième Concile du Vatican, l’Église d’Occident surmonte peu à peu la tentation de l’uniatisme. Faut-il le dire, la tentation d’un uniatisme inverse nous est étrangère. Enracinés dans la continuité théologique, spirituelle et liturgique de l’orthodoxie historique, nous découvrons humblement, gravement, notre vocation elle est de partage désintéressé, elle converge avec tout appel à l’unité par le fondamental. Puisse ce bulletin correspondre à la confiance de nos frères en devenant un instrument modeste et utile de cette rencontre.

Olivier Clément

Extrait du SOP, n°1 (1975), p. 2-3.