XVIIe Congrès orthodoxe
Compte rendu
Du samedi 29 octobre au mardi 1er novembre 2022, s’est tenu à Merville (près de Lille), sous l’égide de l’Assemblée des évêques orthodoxes de France, le 17e congrès orthodoxe organisé par la Fraternité orthodoxe autour du thème : « l’Église, espace de liberté ? »
Sans compter la participation en ligne, se sont rassemblées, autour de leurs éminences les métropolites Dimitrios, (Métropole de France – Patriarcat œcuménique), Jean (Archevêché des églises de tradition russe en Europe occidentale – Patriarcat de Moscou) et Joseph (Métropole d’Europe occidentale et méridionale – Patriarcat de Roumanie), environ 200 personnes, issues de diverses régions de France, ainsi que de Belgique, Géorgie, Grande Bretagne, Roumanie, Pays-Bas, Russie, Ukraine,…
Après la liturgie dominicale suivie d’un mot d’ouverture du métropolite Dimitrios, la réflexion a été ouverte par Michel Eltchaninoff, rédacteur en chef de la revue Philosophie Magazine, qui a défini la notion de liberté dans une perspective philosophique, en s’appuyant notamment sur la pensée de Berdiaev et Dostoïevski. Si, pour eux, la liberté humaine n’est pas une chimère, elle implique une responsabilité, notamment celle de mener une « vie vivante ». Durant l’après-midi qui a suivi, le père John Behr, patrologue enseignant à l’université d’Aberdeen (Ecosse), est revenu sur la créativité à laquelle est invité le discours théologique, à l’exemple des Pères de l’Église, à commencer par Irénée de Lyon qui tout en s’appuyant fidèlement sur la proclamation évangélique a construit un discours théologique original. Cet exposé a été suivi par celui de Jean-François Colosimo, directeur des éditions du Cerf et essayiste spécialisé dans le monde des religions, qui a posé un diagnostic d’une sévérité lucide sur la situation actuelle de l’orthodoxie et les causes qui y conduisent. Il a notamment fermement dénoncé la connivence entre l’impérialisme russe et l’actuel patriarcat de Moscou. Il a terminé en lançant un appel à témoigner d’une orthodoxie qui se montre libre des intérêts de ce siècle. Cette journée a été également marquée par la visite du père Christophe Danset du diocèse de Lille, accompagnateur du service diocésain pour l’unité des chrétiens.
Le lendemain, l’higoumène du monastère Notre-Dame-de-Toute-Protection à Bussy-en-Othe, mère Aimiliani, a pris la parole à distance pour présenter la démarche ascétique chrétienne dont l’objectif est de procurer à celui qui la pratique une plus grande disponibilité pour Dieu et pour le prochain. Ensuite, Zoïa Svetova, journaliste russe dissidente et défenseuse des droits humains, a témoigné de la répression subie par les membres de l’Église, notamment les prêtres, qui en Russie dénoncent la guerre d’agression menée contre l’Ukraine. Après le déjeuner, Georges El Hage, chercheur en patrologie, a présenté le pensée d’Origène sur la question de la prédestination. Bien que les écrits d’Origène soient sujets à caution, sur ce point, ils rejoignent la Tradition ecclésiale et soulignent la responsabilité de l’être humain qui n’est pas soumis à une destinée, mais reste, à l’image de son Créateur, fondamentalement libre. La parole est ensuite passée à la pasteure Anne-Laure Danet, responsable du service des relations avec les Églises chrétiennes de la Fédération Protestante de France. Elle a évoqué la nécessité, pour construire une rencontre et une réconciliation en profondeur entre communautés ecclésiales, d’apprendre à écouter l’autre pour prendre en compte la spécificité de son expérience. Une telle réparation de la mémoire a pu ainsi être mise en œuvre entre communautés issues de la Reforme, malgré les luttes sanglantes qui les ont opposées autrefois.
La réflexion de ces deux journées s’est prolongée lors des ateliers. Différents aspects de la liberté en Église ont été abordés : créativité liturgique, mouvements et fraternités ecclésiaux, liberté d’expression, lectures bibliques, défis posés par les techniques médicales, par la recherche scientifique, le dialogue œcuménique,…
L’après-midi du lundi s’est achevée avec une prière d’intercession en faveur des victimes de la guerre en Ukraine. Avant cet office, Nikita Grigorov et Romain Sigov, venus récemment de Kiev, ont partagé un témoignage sur les souffrances subies au quotidien par les Ukrainiens.
Au cours de la soirée suivante, Cyrille Sollogoub, président de l’ACER-MJO, a animé une séance de réflexion autour de l’histoire et des missions de la Fraternité orthodoxe. À l’issue des différentes prises de parole, il est clairement apparu que la Fraternité doit rester cet espace amical de dialogue et d’unité qui rassemble les fidèles issus de différentes juridictions et qui permet de rencontrer, voire d’interpeller, les évêques, dans un contexte plus large que celui des diocèses.
La dernière matinée a été marquée par la célébration de l’Eucharistie en présence du métropolite Dimitrios qui a alors rappelé l’importance du témoignage chrétien par la liturgie. Puis, le père Christophe D’Aloisio, ecclésiologue enseignant à l’institut orthodoxe de Bruxelles et l’UCLouvain, a pris la parole pour évoquer les fondements sotériologiques de la liberté en Christ et revenir sur les éléments de sagesse de ce monde qui ont été – et pourraient encore être – intégrés par l’Église pour poursuivre sa mission dans le monde. Après un temps d’échange entre les membres de l’auditoire et les évêques présents, le métropolite Joseph est venu apporter une parole de conclusion. Il a évoqué la liberté intérieure accessible au chrétien, même lorsqu’il se trouve dans des situations extrêmes d’oppression ou de captivité.
Suite aux crises successives de ces dernières années, ce rassemblement était particulièrement attendu et l’ensemble du congrès a manifesté un enthousiasme fervent ainsi qu’un réel désir d’unité. Plus que jamais, si elle veut perdurer et porter du fruit, la présence orthodoxe en Europe occidentale doit s’ouvrir au monde occidental et sortir des ornières ethniques ou moralistes dans lesquelles elle s’enferme trop souvent. L’expérience d’une unité vécue autour du calice eucharistique, malgré un contexte qui pousse à la division – voire à la haine – reste le meilleur point de départ d’un témoignage d’une vie en Église authentique, enracinée dans l’unique nécessaire. Ce genre d’évènements révèle l’existence, en Occident, d’une vie ecclésiale en quête d’unité. Une telle expérience fraternelle est appelée à croître et peut devenir une base solide pour construire une organisation canonique unifiée.